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juridique marketplace

Et si les derniers organismes capables de stopper les dérives des géants d’Internet étaient les pouvoirs publics ? Déjà dans le collimateur du législateur, les plateformes numériques et autres Marketplace font face depuis quelques mois aux restrictions imposées par les collectivités territoriales. Naviguant depuis des années au sein d’une législation favorable, les géants du net mais plus particulièrement les opérateurs de plateformes (dont les Marketplace), en qualité de « disrupteurs », ont su profiter de ses vides juridiques pour y imposer leurs conditions. Il revient désormais aux collectivités territoriales d’imposer leurs règles du jeu, ce qui ne plait pas toujours aux opérateurs déjà en place. Petit tour des tensions grandissantes entre les opérateurs de plateformes et les pouvoirs publics.

Les trottinettes électriques

C’est le débat de 2019 qui cristallise toutes les tensions entre les utilisateurs et les Mairies de France. La trottinette électrique s’est développée dans les principales villes de France comme Paris, Bordeaux ou Marseille. Face aux dérives des usages qu’il en est fait, aux problèmes de sécurité et au partage de l’espace public, les Mairies ont dû faire valoir leurs droits afin d’encadrer cette croissance devenue anarchique. Les collaborateurs de la Mairie de Paris, avec Anne Hidalgo en tête, ont été les premiers à être montés au front contre les opérateurs de trottinettes en libre-service. Ces derniers ont imposé une réglementation très stricte aux différents opérateurs afin de protéger les piétons, à savoir : une restriction du nombre des opérateurs, un volume limité de trottinettes, des zones de stationnement prédéfinies, des équipements obligatoires, ainsi que l’interdiction de rouler sur les trottoirs, etc. A l’instar de la Mairie de Paris, les autres Mairies de France ont à leur tour imposé leurs règles face à la « jungle » provoquée par les opérateurs. Marseille a notamment écarté le géant Lime de ses trottoirs et Villeurbanne, en Novembre dernier, a été jusqu’à interdire les trottinettes dans sa commune. D’autre part, un durcissement de la réglementation ou encore des interdictions ont été instaurées dans les grandes villes du monde comme Milan, Barcelone, Valence, Londres, Madrid, New York, Lisbonne, Singapour etc.

La livraison de repas

En France, c’est à nouveau dans la capitale que sont apparues des tensions entre les livreurs et la plateforme Deliveroo. A l’origine du conflit, une nouvelle tarification émanant du géant britannique provoquant la colère des livreurs. Face à la précarité des livreurs (assimilés à des indépendants) et aux dérives des opérateurs, le législateur français a ainsi instauré La Loi d’Orientation des Mobilités (LOM) afin d’encadrer et de réguler les plateformes. La LOM a été adoptée en Novembre 2019 et impose à ces derniers qu’ils « communiquent aux travailleurs, avant chaque prestation, la distance couverte par cette prestation et le prix minimum garanti dont ils bénéficieront, déduction faite des frais de commission ». De plus, il ne sera plus possible de suspendre des comptes pour inactivité, lorsqu’un travailleur ne se connectera plus pendant les heures d’activité. Le législateur recommande vivement aux plateformes de proposer une charte sociale et de prendre des engagements dans le but d’améliorer les conditions de travail des livreurs, ce afin d’éviter tout risque de requalification de la relation contractuelle en salariat.

Les Véhicules de Tourisme avec Chauffeurs (VTC)

La LOM a pour objectif d’encadrer les dérives face aux travailleurs indépendants qui collaborent avec les plateformes numériques faisant appel à des coursiers à vélo mais également à des chauffeurs VTC. En France, les chauffeurs VTC de la plateforme UBER, concurrents directs des taxis traditionnels, ont longtemps défié la chronique. Face aux pressions constantes des taxis qui ont obtenu gain de cause, les pouvoirs publics ont imposé les mêmes règles du jeu entre les taxis et les VTC (notamment concernant les licences). Les législateurs sont souvent intervenus dans les conflits entre opérateurs VTC et les taxis. A titre d’exemple, New York a intenté une action en justice afin de limiter l’attribution de nouvelles licences aux chauffeurs UBER et la circulation à vide des véhicules sur leur plateforme.

Toujours aux USA, UBER et Lyft ont été condamnés par le Gouvernement Californien. Celui-ci a ratifié le projet de loi visant à requalifier le contrat des chauffeurs VTC (travailleurs indépendants) en celui de salarié et pourrait faire très mal au portefeuille du géant américain qui voit son modèle économique remis en question. Récemment à Londres, UBER a même perdu sa licence d’exploitation en raison de défaillances qui mettaient « en danger » ses passagers. De quoi faire trembler le géant Américain qui pense déjà à sa reconversion.

Les locations de logement saisonniers

Anne Hidalgo, la Maire de Paris a de nouveau fait parler d’elle en Septembre dernier, avec une proposition assez osée, à savoir celle d’interdire Airbnb dans certains arrondissements stratégiques de Paris, accusant la plateforme de location d’être l’un des facteurs de l’augmentation des loyers à Paris. L’élue estime que les acheteurs d’immeubles qui louent des appartements à des prix modestes pour la classe moyenne, ont tendance à se retirer subitement du marché dans le but de faire de la location saisonnière. De ce fait, la raréfaction de ces logements attractifs entraînerait une hausse mécanique du prix des logements à Paris.

La municipalité de Paris a haussé le ton ces derniers mois et souhaiterait interdire la plateforme de location dans une partie de la capitale et ainsi capter 26.000 logements supplémentaires dans le centre de Paris« .  Après avoir multiplié les contrôles et les amendes à l’encontre des propriétaires qui louent illégalement leurs logements, Anne Hidalgo souhaite désormais s’attaquer aux plateformes de locations (Airbnb, Abritel, MediaVacances, Homelidays, Owners Direct, LuxuryRetreats etc.) en s’appuyant sur un amendement déposé avec plusieurs parlementaires à l’Assemblée Nationale. Cet amendement donnerait plus de pouvoir aux communes afin de les encadrer davantage. La Maire de Paris a, entre autres, « demandé au gouvernement que les maires puissent avoir la possibilité de réguler. […] Aujourd’hui la loi ne stipule pas plus de 120 jours de location par an. Je pense qu’on devrait pouvoir avoir la possibilité dans chaque ville de décider entre 30 et 120 jours ce qui est le plus adapté à la ville ».

Le gouvernent avait déjà signé des engagements avec des plateformes de location touristique (notamment Airbnb) afin d’encadrer le nombre de jours maximum de location par an, fixé à 120 jours pour un propriétaire de résidence principale. 18 villes (dont Paris, Lyon, Neuilly, Versailles, Nice, Lille ou encore Bordeaux) étaient concernées par cette mesure et les opérateurs sont contraints d’informer les propriétaires juste avant que le plafond ne soit atteint. Au-delà de 120 jours, le logement du propriétaire sera considéré comme une résidence secondaire.  Il devra ainsi effectuer les démarches préalables à la mairie de sa ville pour bénéficier du dernier statut.

Hôtellerie

Nos voisins belges, sous l’impulsion du gouvernement Michel, ont émis un projet de loi portant sur les hébergements touristiques. Ce projet de loi a pour vocation de libérer les hôteliers de l’emprise tarifaire des plateformes comme Booking.com ou TripAdvisor. En effet, ces derniers imposent aux fournisseurs d’hébergements de leur garantir le prix le plus bas sous peine de référencement.

Avec plus de 40% des réservations provenant des plateformes, les Hôteliers n’ont guère le choix de se soumettre à leur volonté et exécuter les conditions fixées par les opérateurs afin de préserver ce canal d’acquisition (en constante progression). En France, comme ailleurs, quasiment tous les hôteliers se sont résignés à figurer sur Booking.com. Le projet de loi a été rejeté une première fois par la Commission européenne et une seconde version serait déjà dans les tuyaux. Affaire à suivre.

Voici quelques exemples concrets. Les opérateurs et les plateformes numériques font face à une nouvelle menace pour leur modèle économique : celle du législateur. Longtemps à l’abris des sanctions grâce aux vides juridiques, les pouvoirs publics entendent bien changer la donne et imposer des règles afin de protéger non seulement les consommateurs mais également les e-commerçants, VTC, coursiers, hôteliers etc. La loi sur la mobilité en est le parfaite exemple. La liste est longue pour recenser l’ensemble des actions juridiques de la part des gouvernements du monde entier mais une chose est sûre, l’étau se resserre pour les marketplaces et les plateformes. A voir quelles seront leurs réactions. Conscient des pressions qu’il subit, UBER a d’ores et déjà envisagé une diversification ou plutôt une reconversion de son activité en très prochainement un assistant personnel.

Alexandre Onufryk – Managing Consultant

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