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Notes n’a pas été le précurseur du Groupware 

Avant de parler de collaboratif, l’étiquette en vogue lors des débuts du réseau local, c’était le Groupware et le logiciel emblématique de cette vague, c’était Lotus Notes (même si d’autres logiciels comme GroupWise ont eu leur part aussi). Il est particulièrement intéressant de constater que les racines de Notes viennent d’un « ancêtre » à qui l’on doit tout : Plato. 

Les tous débuts de Plato remontent aux années soixante sur le campus de l’Université de l’Illinois. C’est là que quelques chercheurs fondèrent le CERL (Computer-based Education Research Laboratory) et y développèrent la première version de Plato destiné à faire tourner des programmes éducatifs limités à une seule classe. Plato était doté de Tutor, un langage auteur permettant d’écrire les programmes éducatifs. Dans les années soixante-dix, Plato évolue beaucoup et va bien au-delà de sa vocation initiale pour devenir un système complet offrant toute la panoplie des outils collaboratifs que l’on connaît aujourd’hui (et tout cela bien avant l’arrivée des PC, des réseaux locaux et de la généralisation d’Internet… Oui, Plato était bien le vrai précurseur de tout ce qu’on pratique de nos jours). 

Plato, le tout premier système de “online conferencing”… 

C’est David R. Woolley qui en écrivant Plato Notes à la demande de Paul Tenczar va transformer Plato et inventer -comme il le dit lui même- le premier système de « online conferencing » (on pourrait traduire ce terme mais cela ne donnerait rien d’élégant…). Plato Notes était, dans un premier temps, juste une petite application pour tenir à jour la liste des défauts logiciels de Plato (et aussi voir les réponses des développeurs liées à chaque bug). À partir de cette petite extension, Wolley va multiplier les applications et, ainsi, entraîner de nouveaux usages que l’on connaît bien aujourd’hui : salon de chat à plusieurs (application « Talkomatic ») puis chat à deux utilisateurs (grâce à l’application « Term-Talk ») et messagerie privée (avec « Personal Notes »). Term-Talk permettait aussi de voir le contenu de l’écran de son correspondant direct. Ainsi, la notion de partage d’écran si utile pour le support ou la formation était née… 

DAVE WOOLEY AT THE PRINTER IN THE CERL PLATO COMPUTER ROOM, 1973
DAVE WOOLEY AT THE PRINTER IN THE CERL PLATO COMPUTER ROOM, 1973 (Photo credit: Paul tenczar) 

Apparition des catégories 

En 1975, Wolley ajoute la notion de « catégories » pour permettre le classement des « Notes » toujours plus nombreuses avec le succès croissant du système. Cet ajout de « Notes Categories » conduisit à « Group Notes » en 1976 qui permettait, comme son nom l’indique de créer des groupes spécialisés par thématiques. Le déclencheur de cette évolution était un groupe d’utilisateurs de Plato à Chicago qui partageait des notes sur l’enseignement de la pharmacie. À cette même époque, Control Data débuta la commercialisation de Plato sur ses propres systèmes (des mini-ordinateurs). Cette dissémination favorisa l’éclosion d’une importante communauté d’utilisateurs (certains des sites utilisant Plato étaient reliés via des lignes dédiées). C’est ainsi que les animateurs de Plato découvrirent avant tout le monde que la gestion d’une communauté en ligne n’allait pas sans difficulté… 

Plato servit également de plateforme pour des jeux multi-utilisateurs dont certains allaient inspirer des titres que l’on connaît bien aujourd’hui comme AirFight, un précurseur de MS Flight Simulator. Mais Plato de par sa richesse fonctionnelle et son succès auprès des groupes d’utilisateurs allait directement inspirer la naissance de Lotus Notes. 

L'un des menus de Plato

L’un des menus de Plato

L’ancêtre de tous les ancêtres 

Avant de passer de Plato à Notes, n’oublions pas celui à qui nous devons tout, y compris dans ce domaine. En effet, Douglas Engelbart a envisagé l’informatique collaborative dès 1951 et a documenté sa vision en 1962, avec des prototypes de travail pleinement utilisés par son équipe de recherche au milieu des années 1960. Il a organisé la première démonstration publique (restée fameuse mais bien trop en avance sur son époque) de son travail en 1968 à ce qui est maintenant appelé “La mère de toutes les démos”. Ce petit rappel pour illustrer qu’on trouve toujours des racines profondes à toutes les évolutions techniques fondamentales… 

En 1978, Peter et Trudy Johnson-Lenz ont inventé le terme groupware; leur définition initiale de groupware en 1978 était “processus de groupes intentionnels et logiciels pour les prendre en charge”. Plus loin dans leur article, ils ont expliqué le groupware (collecticiel si on veut absolument un terme en “bon” français…) comme « une culture médiatisée par ordinateur … une incarnation de l’organisation sociale dans l’hyperespace ». Le groupware intègre des systèmes humains et d’outils co-évolutifs, mais n’est tout simplement qu’un seul système. 

Tout était en place pour le vrai premier acte de cette saga… 

De Plato à Notes 

Ray Ozzie travaillait avec Wolley au CERL dans les années soixante-dix et c’est là qu’il a pu voir et utiliser Plato Notes et ses développements. Dans les années quatre-vingt, en plein dans la vague PC, Ray Ozzie créa une petite société, Iris Associates inc., afin de pouvoir développer un logiciel d’un nouveau genre. Ce logiciel que Ray Ozzie avait en tête était évidemment directement dérivé de son expérience concrète vécue avec Plato. 

Pour diffuser ce projet, Ray Ozzie conclu un accord avec Mitch Kapor, alors dirigeant fondateur de Lotus. À cette époque, Kapor était un « grand ponte » de l’industrie naissante du logiciel pour PC puisqu’il était à l’origine du succès fabuleux de Lotus 1-2-3 (on l’oublie car c’était il y a longtemps mais le succès fabuleux de 1-2-3 a largement contribué à la généralisation du PC en entreprise…). Le marché entre les deux hommes était simple : Iris Associates inc. développait un logiciel collaboratif alors que Lotus s’occupait du marketing et de la commercialisation. Cet accord eut lieu en 1984. Nous sommes alors au tout début de l’émergence des réseaux locaux mais un visionnaire comme Kapor était capable de comprendre les perspectives imaginées par Ozzie qui connaissait bien le potentiel d’une solution collaborative à la suite de son expérience avec Plato. Le terme même de Groupware existait déjà, il a été défini pour la première fois par Peter et Trudy Jonhson-Lenz en 1978 avec cette définition : processus de groupe intentionnel supportés par un système logiciel. 

Première version de Notes en octobre 1986 

Le développement de Notes pris quelques années et c’est seulement en octobre 1986 que la première version commença à être utilisée par les développeurs d’Iris et les employés de Lotus. Cette première utilisation collaborative à distance déboucha sur l’invention de la réplication, fonctionnalité nécessaire à la synchronisation des bases de documents. Cette période de tests et de raffinement dura jusqu’à décembre 1989, date de la sortie officielle et du début de la commercialisation de ce logiciel novateur. 

La toute première version de Notes sous Windows 2.1
La toute première version de Notes sous Windows 2.1 

 

Cette première version coûtait $62 500 pour 200 utilisateurs et Lotus pouvait annoncer 35 000 utilisateurs dès la fin de la première année de diffusion. Même si cette première version était très rustique et contraignante sur le plan technique (il fallait un serveur sous OS/2 pour faire fonctionner ce système qui reposait sur le principe du client-serveur, et c’est bien souvent par le biais de ce produit que cette architecture fit son entrée dans les organisations…), elle rencontra tout de même un certain succès tant son concept était novateur. Il faut se souvenir qu’à cette époque, les premiers réseaux locaux servaient juste à partager des ressources matérielles : espaces disques et imprimantes. La notion de Groupware était connue mais le concept paraissait encore très théorique pour beaucoup et même impraticables pour certains. Lotus Notes arrivait sur une terre quasiment vierge et capturait l’imagination des managers les plus enthousiastes. De fait, kNotes fut adopté avant même son lancement par les dirigeants de Price Waterhouse qui en commandèrent 10 000 copies après avoir vu une préversion.

Les consultants diffusent la bonne parole… 

Les premiers utilisateurs de Notes furent donc les consultants de Price Waterhouse et; d’Arthur Andersen qui s’empressèrent de diffuser « la bonne parole » auprès de leurs clients. La version 1 offrait la messagerie de groupe, un répertoire téléphonique et des groupes de discussions en plus de la base de document qui était à l’origine de son nom. Initialement, Ozzie pensait que Notes était surtout destinée aux petites structures avec un maximum de 25 utilisateurs simultanés par serveur. Mais les efforts de Lotus portèrent plutôt sur les « grands comptes » où le discours des consultants en organisation (comme ceux d’Arthur Andersen) était mieux reçu (et, n’oublions pas qu’à $62 500 la licence, seules les grandes sociétés pouvaient être intéressées…). En conséquence, la version 2 de Notes apparue en 1991 progressait plus sur le plan de la montée en charge que sur les fonctionnalités. Mais la version 2 apportait tout de même une API permettant d’étendre les possibilités de Notes et d’aider à l’interfacer avec d’autres systèmes. 

La maturité avec la version 3 de Notes 

En mai 1993, Lotus proposait enfin la version 3 de Notes. Cette version était cette fois destinée à une clientèle plus large. L’interface utilisateur de l’application cliente adoptait Windows 3.0 et la recherche en plein texte était incluse. Au moment du lancement de cette troisième version, Notes comptait 500 000 utilisateurs répartis sur 2000 clients. Notes était « à la mode » à cette époque. Cette solution excitait la curiosité car ce logiciel représentait un nouveau type d’applications. En ce temps-là, nous étions en plein au début de la vague client-serveur et les promoteurs de cette tendance cherchaient activement les exemples de mise en œuvre à mettre en avant. Notes était donc très tendance à double titre, même si les premières versions avaient beaucoup à redire. L’interface utilisateur était un désastre : confuse, encombrée et ne respectant pas du tout les standards que Windows était en train de populariser. Sur ce plan, Notes était presque un contresens et Lotus ne semblait pas s’en apercevoir. Il faut dire que les autres logiciels de Lotus étaient également copieusement ratés sur ce plan : c’est à cette occasion que 1-2-3 perdit sa position dominante au profit d’Excel au fur et à mesure que Windows se généralisait en entreprise. 

La version 3 de Notes, toujours aussi confuse sur le plan de l’interface utilisateur... 
La version 3 de Notes, toujours aussi confuse sur le plan de l’interface utilisateur…  

IBM met la main sur Notes 

À partir de là, l’histoire tourne court pour Notes… Tout d’abord, Lotus rachète Iris afin d’avoir toutes les décisions en main. Dans la foulée, IBM rachète Lotus en juillet 1995. Cela coïncide avec les grands débuts du Web et, progressivement, Lotus perd de sa pertinence au fur et à mesure que les standards de l’Internet se diffusent dans le monde des entreprises. Ray Ozzie lui-même l’a dit alors : « si nous avions développé Notes un peu plus tard, c’est clair que nous aurions choisi le Web comme plateforme et standard d’interface ». IBM a achevé de « tuer » Notes par une stratégie d’évolution hésitante : retard dans la prise en compte de l’Internet, changement de nom (en décembre 1996, avec la version 4, Notes devient « Domino »…) et prise en compte complète de l’interface Windows au moment où c’est l’interface du Web qu’il fallait adopter. 

Ray Ozzie, quant à lui, a quitté Lotus quelques années après le rachat d’IBM pour fonder sa propre société Groove Networks. Cette dernière a été rachetée par Microsoft en 2005, et Ray Ozzie est depuis devenu Chief Software Architect au sein de géant de Redmond (sa conversion à Microsoft a été vécue comme une traîtrise par de nombreux ex-employés de Lotus). 

Après cela, le groupware a décliné, la mode était passée et Notes est devenu “has been”. Comme il n’y avait pas vraiment de logiciel pour prendre le relais de cette tendance (Netscape a essayé mais sans grande conviction), tout le monde est passé à autre chose et nous avons oublié le groupware, pour un moment… 

Le collaboratif en SaaS avec Basecamp 

Le renouveau du groupware est venu au milieu des années 2000 avec une autre étiquette : le collaboratif. Et la solution qui incarne le mieux ce renouveau est un logiciel relativement modeste : Basecamp. Voici une présentation de Basecamp par Jason Fried, fondateur et PDG de la société éponyme. 

Source https://basecamp.com/about/story 

Salut, je suis Jason, fondateur et PDG de Basecamp. 

Si vous avez une minute, j’aimerais partager l’histoire improbable de la naissance de Basecamp le 5 février 2004. 

Tout a commencé en 2003. À l’époque, nous étions une entreprise de conception de sites Web (la société s’appelait alors 37signals, le changement de nom en Basecamp eut lieu en 2014). Les entreprises nous ont engagés pour repenser et simplifier leur site Web. 

Les affaires allaient bien et nous étions très occupés. Mais nous étions désorganisés. Avec autant de projets simultanés, les choses ont commencé à glisser entre les mailles du filet. 

Les projets traînaient trop longtemps. Nous avons “lâché la balle” sur les principaux livrables. Nous avons aussi eu des problèmes de communication majeurs (« Attendez, qui a dit ça ? Nous l’avons fait ? Quand ? Où ? »). 

À l’époque, on s’appuyait sur le courrier électronique pour tout. Le courrier électronique est idéal pour de nombreuses choses. Mais ce n’est pas idéal pour les projets de longue durée. Les choses se perdent, les gens sont exclus des conversations, il n’y a nulle part où aller pour voir ce qu’il reste à faire. Vous voyez ce que je veux dire ? 

Nous avons donc commencé à chercher un outil de gestion de projet. Nous avions besoin de quelque chose pour nous aider à communiquer des idées, organiser le travail à faire et présenter le travail aux parties prenantes. Aussi simple que cela. 

Nous avons essayé quelques outils, mais ils étaient compliqués et trop difficiles à utiliser. Nous sommes donc lentement revenus à l’utilisation de notre ancienne messagerie de secours et nos problèmes ont continué. 

Frustrés, nous avons décidé de créer notre propre application de gestion de projet, en voulant la garder simple. Quelques mois plus tard, nous avions quelque chose de prêt. Nous avons commencé à utiliser cet outil avec nos clients existants. 

Les projets se sont immédiatement mieux déroulés !  

Nous avons retrouvé le sens de l’ordre et du calme dont nous rêvions. Et les clients l’ont remarqué – ils ont vraiment apprécié l’amélioration de la communication et de l’organisation. 

Ensuite, nos clients ont commencé à nous demander quel logiciel nous utilisions pour exécuter ces projets. Il s’avère qu’ils voulaient l’utiliser pour leurs propres projets internes ! 

Hé, peut-être que nous avons un produit ici finalement… Nous l’avons donc peaufiné, tarifé équitablement et mis sur le marché. Le 5 février 2004, Basecamp était né. 

Nous l’avons annoncé sur notre blog. En un mois, nous avions une centaine de clients payants. Des centaines d’autres ont suivi. En un an, Basecamp générait plus de revenus pour nous que notre activité de conception de sites Web. Nous avons donc cessé de concevoir des sites Web et nous nous sommes concentrés sur notre activité logicielle. 

Bientôt, nous avons commencé à entendre des histoires sur Basecamp utilisé dans les écoles, les gouvernements, les églises, les cabinets de conseil, les éditeurs et à peu près toutes les autres industries sur terre. Les histoires continuent de venir et nous continuons de grandir. 

Aujourd’hui, dix ans après la première mise sur le marché de Basecamp, près de 15 000 000 personnes ont travaillé sur un projet avec Basecamp !  

Et chaque semaine, des milliers d’entreprises s’inscrivent pour utiliser Basecamp. 

Nous sommes tellement reconnaissants que Basecamp soit devenu un phénomène mondial presque entièrement par le bouche à oreille. Nos clients évangélisent Basecamp simplement parce qu’ils aiment Basecamp. Nous leur devons tout. 

Notre équipe exceptionnelle est toujours à votre service. Tout le monde chez Basecamp interagit régulièrement avec les clients. Notre travail est de vous aider à mieux faire votre travail. Nous espérons que vous envisagerez d’utiliser Basecamp pour graisser les roues de vos projets. Tout se passe mieux avec Basecamp dans les coulisses ! 

Le triomphe de la simplicité 

Le phénomène Basecamp (puisqu’il faut bien admettre que Basecamp est un phénomène à plus d’un titre, y compris dans la manière dont il a été développé puisqu’il s’agit de la première application d’envergure à reposer sur Ruby on Rails) réside sûrement dans la simplicité (et même l’élégance) de son interface utilisateur très épurée. C’est aussi une des premières applications SaaS à avoir été un succès d’importance. Là aussi, la simplicité de mise en œuvre a sans doute joué.  

Un des écrans de Basecamp.

Un des écrans de Basecamp.

Le télétravail, une réalité chez Basecamp… 

Les membres de Basecamp ont une certaine crédibilité en matière de travail à distance car ils ont même publié un livre sur le sujet (“Remote”) comme l’explique Jason : 37signals a été fondé en 1999. Nous avons commencé avec quatre personnes, et aujourd’hui nous sommes une entreprise d’environ 50 personnes réparties dans 32 villes différentes à travers le monde. Notre siège social est à Chicago, mais tout le monde chez Basecamp est libre de vivre et de travailler où bon lui semble. Beaucoup d’entre nous aiment travailler à distance – nous avons littéralement écrit le livre sur le travail à distance !

La suite de cette chronique avec « La situation actuelle : une offre qui décolle !« .

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