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Dans le premier volet de cette chronique, je m’étais contenté de retranscrire l’essai de Moxie quasiment in extenso… si vous avez tenu jusque-là, bravo !

Maintenant, il est temps de voir plus loin et de ne pas “jeter le bébé avec l’eau du bain”. En effet, on va voir qu’il existe des alternatives à la blockchain Ethereum et que l’idée du Web3 pourrait se concrétiser à l’avenir mais sur d’autres bases.

Quelques précisions techniques supplémentaires mais nécessaires

Cependant, avant d’aller plus loin dans l’analyse, permettez-moi d’ajouter quelques éléments afin de préciser certaines affirmations de l’essai de Moxie Marlinspike et de ne pas prêter flanc à la critique…

Tout d’abord, on pourrait croire que Moxie Marlinspike affirme qu’on ne peut accéder à la blockchain (que ce soit celle d’Etherium ou une autre) directement et c’est pour cela qu’on doit passer par un service intermédiaire comme ceux proposés par Infura ou Alchemy. En fait, on peut adresser directement un « nœud RPC” (ou des nœuds complets qui contiennent une copie complète d’un “grand livre distribué” particulier, c’est-à-dire une blockchain) mais ce n’est pas recommandé car ceci nécessite plus de travail (et cela impacte les performances quand c’est mal fait en plus…) que de passer par des API qui simplifient effectivement le processus.

Les exemples les plus importants des solutions proposées par Infura ou Alchemy incluent :

  • Fournir aux développeurs des connexions rapides aux réseaux peer-to-peer et ainsi éliminer les longs temps d’initialisation.
  • Aider les développeurs à éviter les dépenses liées au stockage de la blockchain Ethereum complète et à l’extension de leur infrastructure.
  • Fournir une infrastructure et des outils qui permettent aux développeurs de se connecter facilement à Ethereum et IPFS. En tant que tels, ils peuvent commencer à créer des applications décentralisées (les fameuses dApps) le plus tôt possible.

C’est pour toutes ces raisons (légitimes) que les développeurs de dApps (pas tous mais beaucoup) passent par Infura ou Alchemy pour adresser les blockchains cibles.

Décentralisé, vraiment ?

Ensuite, sur la question de la soi-disant décentralisation du Web3, on peut dire sans exagérer que le mensonge est grossier. Le Web3 commence avec toute notre infrastructure existante. On a donc toujours besoin d’un nom DNS, on a toujours besoin d’un serveur (qu’il soit dans le cloud ou pas), on a toujours besoin de stockage et on a toujours un calcul distribué entre le navigateur et le serveur. On n’a donc déjà supprimé aucun des gardiens du système distribué conventionnel, ce qui montre que les affirmations d’une décentralisation sans gardiens sont fausses, tout simplement.

Cela peut évoluer dans le futur. Il existe effectivement des projets innovants dans chacun de ces domaines, y compris pour le DNS. Mais, pour le moment, ces projets sont encore jeunes et connus seulement d’une poignée de spécialistes… Laissons-leur le temps de grandir et de s’affirmer.

Roll back ou hard fork ?

Enfin, quand vous lisez sans cesse que tout ce qui est dans la blockchain (sans préciser de quelle blockchain il s’agit, le plus souvent…) est inaltérable, sachez que c’est faux et qu’Ethereum en a fait la démonstration éclatante en procédant à un “roll back” en 2019 (les fans d’Ethereum préfère parler de “hard fork” pour cette opération mais ça revient au même)… Pas mal pour un système qui est censé resté immuable quoi qu’il arrive !

Un enfumage comme rarement !

Alors si tout ceci est vrai, pourquoi ce battage médiatique en faveur du Web3 ? 

Parce que c’est l’aveuglement habituel qui accompagne une “ruée vers l’or”. Peu importe que cette or soit fausse ou absente, le mot d’ordre est lancé et il enflamme le peu de cerveaux qui reste aux gogos.

Dans son état actuel (c’est-à-dire s’appuyant sur Ethereum), le Web3 est une escroquerie, un édifice technologique qui est plus qu’inutile comme le découvrira rapidement toute personne qui tentera de déployer une application réelle. On est toujours dans la chimère des rêves surexploités sur la technologie blockchain, perpétuellement à l’horizon à la recherche du problème de demain pour justifier un investissement aujourd’hui (le paradoxe habituel de la solution à la recherche de son problème). C’est le discours traditionnel des charlatans, sauf que cette fois-ci, il est poussé par les plus grands investisseurs du monde qui ont de gros sacs de jetons (NFT et crypto monnaies) à placer. D’où le claironnage d’une nouvelle ruée vers l’or…

Profitons-en pour tordre le cou à une autre idée reçue aussi absurde que risible : les promoteurs du Web3 ne veulent pas “rendre le pouvoir au peuple”, ils le veulent simplement pour eux !

Ces nouveaux entrants ambitieux rêvent de remplacer les GAFAM dans leur position dominante et c’est ainsi depuis des décennies. Quelquefois, ils vont jusqu’à l’avouer comme Nikil Viswanathan, le patron d’Alchemy qui dit « en tant qu’entreprise, j’aimerais avoir des points de verrouillages propriétaires”… Il n’y a que les naïfs et les doux rêveurs pour croire que le Web3 va être la libération tant attendue. 

Décentralisé ne veut pas dire gratuit !

Un autre problème récurrent avec le Web3 et tout ce qui est soi-disant “décentralisé” : la question des coûts n’est jamais abordée, comme si tout cela était gratuit bien sûr !

Un exemple : IPFS (le système de fichiers distribués). Le stockage a un coût mais, bizarrement, ce n’est jamais abordé par les promoteurs des dApps comme si ce n’était pas important. Pourtant, si un nœud IPFS est hébergé sur AWS (par exemple), je doute fort que ça soit gratuitement… En revanche, quand vous devez payer des “gas fee” (lors d’une transaction en Bitcoin ou en Ether), vous vous rendez compte que tout cela (toute cette plomberie soi-disant décentralisée) coûte fort cher en plus d’être très lent !

Tous ceux qui mettent en avant le Web3 en disant “c’est l’avenir et ça va tout changer” (affirmation classique) sont soit incompétents (et c’est grave) soit malhonnêtes (et c’est encore plus grave !). Que quiconque puisse considérer cela comme l’épine dorsale informatique d’un nouvel Internet mondial est plus que risible. 

Des performances lamentables

Dans son article Mythes et réalités du Web3 – FredCavazza.net, Fred pointe les performances d’Ethereum et de Bitcoin et le moins qu’on puisse dire c’est que cela fait tousser !

Extrait :

===

  • Ethereum est un protocole d’échanges décentralisés s’appuyant sur un réseau de 300.000 ordinateurs avec une capacité de traitement de 600.000 opérations / seconde, soit 0,02 % des 3 MM d’opérations / seconde qu’est capable d’effectuer un Raspberry Pi.
  • Une transaction sur le réseau Bitcoin nécessite 2.265 KwH d’électricité, tandis que 100.000 transactions par cartes bancaires demandent 150 KwH, soit un ratio de 0,00000066 % (source : Statista).

Oui vous avez bien lu : la capacité de traitement de la blockchain la plus utilisée est de 0,02% celle d’un petit ordinateur à 45$ ! Vues sous cet angle, les critiques formulées par les détracteurs sont largement justifiées.

=== Fin de l’extrait.

Alors, bien sûr, pour compenser ce coup de poing dans le plexus, Fred s’empresse d’indiquer que d’autres systèmes sont bien plus évolués (et performants, heureusement !) que les deux leaders du domaine crypto. 

Second extrait :

===

Ceci étant dit, l’argumentation ci-dessus s’appuie sur la première génération de blockchain. Car figurez-vous qu’en 10 ans, les projets ont évolué et qu’il existe non seulement des évolutions de la blockchain “originelle” (Ethereum), mais également des alternatives au concept de blockchain :

  • les blockchains qui utilisent d’autres modèles de consensus que le proof-of-work et proposent ainsi de bien meilleures performances, moins de consommation d’énergie et plus de souplesse (ex : Ethereum 2.0, Neo N3, Solana, Cardano, Algorand…) ;
  • les blockchains de 2nde ou 3e couche qui fonctionnent en parallèle des blockchains de 1ère couche et apportent de la souplesse, mais également beaucoup plus d’autonomie (ex : Polygon, Loopring, Skale…) ;
  • les architectures de registres distribués dont le fonctionnement diffère tellement qu’elles ne se définissent plus comme des blockchains (ex : le hashgraph de Hedera ou Hyperledger Fabric).

Comme vous pouvez le voir, de très gros efforts ont été faits pour améliorer le principe original de la blockchain et rendre les projets les plus récents tout à fait robustes et légitimes d’un point de vue informatique. Reste à savoir s’ils vont bénéficier d’un niveau d’adoption suffisant pour être viables…

=== Fin de l’extrait.

Il conclut en écrivant “Reste à savoir s’ils vont bénéficier d’un niveau d’adoption suffisant pour être viables…” et c’est justement toute la question. Pour le moment, Bitcoin et Ethereum sont largement dominants et les autres (les nombreux autres !) ne se partagent que des miettes :

Donc, faut-il jeter tout ce qui est en train de se faire dans le domaine des cryptos ?

Pas tout à fait. Tout comme Fred, je partage l’analyse qui explique que “la technologie blockchain actuelle est maladroite et lente” (on ne le dira jamais assez à mon goût !). Bitcoin et Ethereum utilisent tous deux un mécanisme appelé “preuve de travail”, où les ordinateurs se précipitent pour résoudre des problèmes mathématiques afin de vérifier les transactions, en échange d’une récompense. Cela ralentit les réseaux et limite leurs capacités (en plus de consommer des niveaux indécents d’énergie !). Bitcoin ne peut traiter que sept transactions par seconde; Ethereum ne peut en gérer que 15. Aux heures de pointe, les transactions sont soit très lentes, soit très coûteuses (et parfois les deux). 

On peut en déduire que si le Web3 devait s’appuyer sur Ethereum, on doit le considérer comme mort et enterré, à la limite de la plaisanterie douteuse. Même si Ethereum passait enfin de la preuve de travail à la preuve d’enjeu (et, puisque l’on évoque ce projet, voilà encore un exemple que ce genre d’évolution prend du temps, beaucoup plus de temps que prévu par ses concepteurs !).

Mais, justement, ce serait une erreur de penser que ce concept se limite automatiquement à Ethereum même si c’est cette blockchain qui est actuellement dominante dans ce nouveau domaine (oublions celle de Bitcoin qui ne présente ni la même capacité ni le même potentiel). En effet, il existe plein d’autres systèmes beaucoup moins connus mais pleins de promesses et qui méritent le détour…

L’avenir de DeFi repose-t-il sur Avalanche ou Solana ?

Un nombre croissant de réseaux, tels qu’Avalanche, Binance Smart Chain, Terra et Solana, utilisent désormais la preuve d’enjeu pour exécuter des blockchains qui font le même travail de base qu’Ethereum, mais beaucoup plus rapidement et à moindre coût (Ethereum a aussi prévu de passer à la preuve d’enjeu depuis un moment mais ça traîne…). Avalanche et Solana, par exemple, traitent tous deux des milliers de transactions par seconde (alors que les transactions sur Ethereum sont actuellement soumises à des limitations de coût et de vitesse, celles sur Solana peuvent gérer des volumes importants avec une finalité de règlement d’environ 400 millisecondes et un coût de transaction d’environ un vingtième de centime). Au début de 2021, presque tous les actifs enregistrés dans les applications DeFi se trouvaient sur le réseau d’Ethereum. Mais dans une note de recherche récente, la banque JPMorgan Chase, estime que la part des applications DeFi utilisant Ethereum est tombée à 70 % d’ici la fin de 2021 (au profit des alternatives comme Solana et Avalanche, justement).

Oublions Ethereum

Certains pensent que la décentralisation promise par le Web3 ne se fera pas sur Ethereum (et ça vaudrait mieux !) mais plutôt sur des bases plus solides et plus performantes. Admettons, mais, comme toujours, cela prendra du temps. Il faudra d’abord que les systèmes de première génération comme Bitcoin et Ethereum s’effondrent pour de bon avant de pouvoir passer à autre chose (les victimes seront nombreuses et les dégâts seront coûteux…). Cela prendra du temps de se relever des décombres de la première phase des cryptos (devinez combien de temps… Oui, bravo : dix ans !) avant de pouvoir repartir du bon pied et de faire les choses correctement. Souvenons-nous que les trentes dernières années d’évolution de l’informatique nous ont au moins enseigné une chose dont on peut être sûrs : il ne s’agit pas d’être le premier à faire quelque chose de nouveau, il faut surtout être le premier à le faire correctement, nuance importante.

Changement de paradigme

En fait, ce que nous propose le concept du Web3 est un véritable changement de paradigme pour l’informatique, tout comme le Metaverse l’est aussi dans une autre direction. 

Et ne confondons pas le concept (qui pourrait avoir un futur) avec ce qui est proposé actuellement et qui est une impasse (car basé sur Ethereum).

Car le vrai concept du Web3 va loin : il s’agit de remplacer les bases techniques de nos infrastructures (serveurs, systèmes de fichiers, base de données et fichiers eux-mêmes) par des éléments neufs et, pour le moment, notoirement immatures. Si la proposition n’est pas complètement délirante dans sa nature profonde, le calendrier envisagé par ses promoteurs les plus enthousiastes, lui l’est certainement.

Un changement de cette ampleur réclamera du temps et des étapes successives (tout comme l’évolution vers le Metaverse d’ailleurs). Il est donc possible que l’évolution de l’infrastructure de l’Internet (et donc de l’informatique puisque les deux sont liés désormais) aille dans cette direction à terme (et pourquoi pas, il y a quelques arguments techniques intéressants qui le justifient) mais ça ne sera pas à court terme.

En attendant, il est clair que la proposition We3 telle qu’elle nous est présentée en ce moment manque de solidité pour être prise au sérieux. Cela peut changer mais il faudra alors revoir certains des éléments techniques de la proposition. Sinon, le Web3 restera comme une poussée de fièvre passagère et sera vite oubliée comme de nombreuses “révolutions techniques” précédentes qui n’ont pas su tenir leurs promesses.

Si vous voulez creuser un peu plus le sujet, voici quelques ressources incontournables :

La vidéo est longue mais très bien faite et très percutante, un must-see!

https://www.platformer.news/p/three-things-web3-should-fix-in-2022

https://web3isgoinggreat.com/

Commentaire

  1. Il me reste les compléments d’information à écouter et lire mais, ce second volet ouvre tout de même la voie.
    C’est une bonne nouvelle pour 2042… Il faudra bien 20 ans.
    Je note que le Web3 sera disponible avant la neutralité carbone (sic…)
    Merci une nouvelle fois pour cette démystification que vous avez pris le temps de nous proposer.
    Tenez-nous informé des évolutions si vous le voulez bien
    :o)

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