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Le retour gagnant de l’Open Source

Dans ma chronique précédente (voir à Tendances décryptées | Où va l’industrie informatique ?), je mettais en avant la suprématie de l’Open Source dans les “couches systèmes” de l’Internet et du Cloud. C’est tout de même un sacré “come back” après la désillusion que nous avons connue au début des années 2000. Rappelons qu’à la fin des années 90, le mouvement Open Source semblait irrésistible. Mais il a clairement échoué (et ce à de multiples reprises) à prendre ancrage sur le poste client. Cet échec spectaculaire a donné un coup d’arrêt à son essor qui était jusque-là très fort.

Le momentum semblait brisé et on a en beaucoup moins parlé. Cependant, comme beaucoup d’autres tendances lourdes, l’Open Source a continué sa progression mais dans un mode plus discret vis-à-vis des médias. Aujourd’hui, il revient en force dans plusieurs secteurs. Tout d’abord, l’Open Source se développe fortement dans le Cloud, aussi bien dans les couches techniques (Docker et Kubernetes) que dans les couches applicatives (ce qu’on va voir plus bas). Mais l’Open Source progresse aussi du côté matériel, y compris pour les processeurs !

Voyons cela en détail…

Les logos des principaux projets Open Source.
Les logos des principaux projets Open Source, les plus connus au moins…

Une présence forte sur le Web et le mobile

Les logiciels libres sont utilisés sur plus de la moitié des sites Web du monde et, sous la forme d’Android, sur plus de 80% de ses smartphones. En effet, le noyau d’Android est bien un projet Open Source (voir à Android Open Source Project (AOSP)) et donc ouvert et utilisable par tous, sans restriction. Les fabricants de smartphone ne se privent pas de “personnaliser” Android pour y ajouter un design à leurs couleurs. En revanche, les applications Google comme Gmail ou Google Maps elles ne le sont pas. Et c’est pour cela que Huawei s’est retrouvé obligé de développer sa propre version afin de contourner l’embargo du gouvernement US (voir à Huawei ne voudrait pas revenir sur les services Google, avec ou sans embargo américain).

La multiplication des succès commerciaux

Il y a cinq ans à peine, les investisseurs étaient largement sceptiques quant à la viabilité de l’Open Source en tant que modèle commercial (presque une contradiction dans les termes !). La thèse commune était que Red Hat était un “flocon de neige” (un événement isolé) et qu’aucune autre entreprise Open Source ne serait significative dans l’univers logiciel.

Mais, en cinq ans, les mentalités ont commencé à changer : Red Hat a été rachetée par IBM pour 32 milliards de dollars; MongoDB (voir à MongoDB) et Elastic (voir à Elasticsearch) jouissent d’une popularité croissante. Sans oublier des spécialistes de la plateforme Hadoop comme Cloudera (voir à Cloudera) et Hortonworks (voir à Hortonworks) qui ont fusionné. Il existe aussi des sociétés OSS (Open Source Software) moins connues mais intéressantes et en pleine croissance : Confluent, HashiCorp, DataBricks, Kong et Cockroach Labs entre autres. 

Alors, comment ce mouvement qui représentait encore, il y a peu, une tendance quasi-marginale est-il devenu (presque) incontournable ? 

Il existe un certain nombre de changements fondamentaux qui ont fait progresser les entreprises dédiées à l’Open Source et leurs perspectives sur le marché.

De l’Open Source dans le SaaS

L’adoption réussie de LAMP (Linux, Apache, MySQL et PHP, ce qu’on considère généralement comme étant le “socle” Open Source de la première génération de ces projets) a jeté les bases de la deuxième génération de sociétés Open Source. Les symboles de cette nouvelle génération étaient Cloudera et Hortonworks déjà évoquées. Ces projets et entreprises Open Source étaient fondamentalement différents de la première génération sur deux dimensions. 

Premièrement, le logiciel a été principalement développé au sein d’une entreprise existante et non par une large communauté non-affiliée (dans le cas de Hadoop, le logiciel a pris forme au sein de Yahoo!). Souvent, plus de 90% des lignes de code de ces projets sont écrites par les employés de l’entreprise qui a commercialisé le logiciel. Déjà, rien que cela était une rupture importante par rapport à la “pratique traditionnelle”… 

Seconde rupture, l’aspect commercial. En effet, ces entreprises sont basées sur un modèle où seules des parties du projet étaient sous licence gratuite, afin qu’elles puissent facturer aux clients l’utilisation de certaines sections du logiciel sous licence commerciale. Les aspects commerciaux de l’utilisation du logiciel sont donc ainsi plus faciles à monétiser. 

De plus, ces entreprises proposèrent très tôt leur propre logiciel en tant que service cloud. Dans un sens, ce sont des entreprises hybrides de services Open Source/Cloud avec plusieurs voies pour monétiser leur produit. En proposant les produits en tant que SaaS, ces entreprises peuvent entrelacer des logiciels open source avec des logiciels commerciaux afin que les clients n’aient plus à se soucier de la licence qu’ils devraient prendre. Des entreprises comme Elastic, Mongo et Confluent (déjà évoquées plus haut) avec des services comme Elastic Cloud, Confluent Cloud et MongoDB Atlas sont quelques-uns des bons exemples de cette nouvelle génération. 

Pour (presque) toutes les couches du Cloud, il y a au moins un projet Open Source qui correspond...
Pour (presque) toutes les couches du Cloud, il y a au moins un projet Open Source qui correspond…

Le rôle -crucial- de la communauté

Alors que les produits de ces sociétés de nouvelle génération sont nettement plus étroitement contrôlés par les sociétés hôtes, la communauté des développeurs joue toujours un rôle central dans la création et le développement des projets Open Source. D’une part, la communauté  découvre encore les projets les plus innovants et pertinents. Les développeurs pointent les projets sur GitHub, téléchargent le logiciel afin de l’essayer et évangélisent ce qu’ils perçoivent comme le meilleur projet afin que d’autres puissent bénéficier d’un excellent logiciel. Tout comme la façon dont un bon article de blog ou un tweet se propage viralement, un excellent logiciel Open Source exploite les effets de réseau. C’est la communauté qui est la source de promotion de cette viralité.

La communauté finit également par être le “chef de produit” de ces projets. Ce “project manager” demande des améliorations et des corrections; il souligne les lacunes du logiciel. Ces demandes de fonctionnalités ne sont pas dans un document de spécifications du produit, mais sur GitHub, les fils de commentaires et Hacker News. Et, si un projet Open Source répond avec diligence à la communauté, il se façonnera aux fonctionnalités et capacités souhaitées par les développeurs.

La communauté agit également en tant que département QA (assurance qualité) pour les logiciels Open Source. Elle identifiera les bogues et les lacunes du logiciel; testera les versions 0.x avec diligence et donnera aux entreprises une rétroaction sur ce qui fonctionne ou non. La communauté récompensera également les excellents logiciels avec des commentaires positifs, ce qui encouragera une utilisation plus large.

Les puristes ne vont pas aimer cela !

Une nouvelle génération de projets sont ainsi portés par des sociétés spécialisées qui renouvellent le mouvement Open Source en y inculquant une approche commerciale astucieuse que les “puristes” vont forcément critiquer mais qui aura permit d’indéniables succès durables. Mais la grosse surprise de ces dernières années, c’est que l’approche Open Source ne se limite plus aux logiciels et commence à gagner le monde du matériel, y compris dans ses domaines les plus prestigieux comme les processeurs.

L’Open Source aussi pour les composants

Car, désormais, le modèle se propage également aux composants électroniques. L’initiative la plus intéressante dans ce domaine, c’est RISC-V (voir à RISC-V). RISC-V est un ensemble de conceptions Open Source pour les micropuces qui a été initialement développées il y a dix ans à l’Université de Californie à Berkeley. Attention, il ne s’agit pas de processeurs complet prêts à l’usage mais du seul “jeu d’instructions”, le microcode du processeur qui est ainsi disponible, charge ensuite aux “fondeurs” (c’est ainsi que l’on nomme les acteurs qui produisent des composants puisqu’ils font fondre du silicium selon des masques très précis, précis jusqu’à dix nanomètres de largeur !) de concevoir et de produire tout le reste du processeur (coeur, multi-coeurs, mémoire et zones-tampons). Le jeu d’instructions représente la partie “logicielle” du processeur, en quelque sorte.

De nos jours, RISC-V attire l’attention de nombreuses grandes entreprises technologiques, dont Google, Nvidia et Qualcomm. En août, IBM a rendu ses conceptions de puces Power Open Source. 

C’est une bonne nouvelle car le secteur des puces est très concentré. RISC-V est en concurrence avec les conceptions de sources fermées d’Intel et d’ARM (cette dernière étant une entreprise britannique et une filiale de la société japonaise SoftBank). ARM a un quasi-monopole sur le marché des puces pour tablettes et smartphones. IBM Power pourrait également mettre à l’épreuve l’emprise d’Intel sur les ordinateurs de bureau et les serveurs de données. Une dose de concurrence dans ce secteur pourrait faire baisser les prix et accélérer l’innovation (comme c’est souvent le cas).

Un processeur RISC-V sur une mini-carte
Un exemple de processeur RISC-V intégrée sur une carte enfichable.

Une raison évidente et d’autres plus subtiles

Il y a trois raisons à cette émergence. Le plus évident est que l’absence de redevances signifie que l’utilisation de RISC-V est forcément moins coûteuse que l’utilisation d’un processeur commercialisé par ARM ou Intel. Si le produit final est un objet à prix élevé comme un smartphone ou un serveur, cela peut ne pas être déterminant. Mais pour les appareils abordables et à grande diffusion, ça pourra être le cas. 

Un deuxième avantage, plus subtil, est que, contrairement aux puces basées sur des conceptions propriétaires, celles impliquant RISC-V peuvent être utilisées sans négociations contractuelles longues et coûteuses. Il peut s’écouler entre six mois et deux ans pour négocier une licence d’utilisation d’une conception de puce impliquant un jeu d’instructions propriétaire. Dans le monde de l’informatique, en particulier pour une startup à court d’argent, c’est une éternité.

La troisième raison pour laquelle les gens se tournent vers RISC-V est la nature même de l’Open Source. Étant donné que le jeu d’instructions est déjà publié en ligne, les contrôles américains à l’exportation ne s’appliquent pas. Du coup, cela a rendu RISC-V particulièrement populaire auprès des entreprises chinoises ! 

Alibaba, un géant du commerce électronique basé à Hangzhou, a annoncé sa première puce basée sur RISC-V en juillet 2019. Le gouvernement municipal de Shanghai a un programme qui soutient les startups utilisant RISC-V dans leurs conceptions. Huami, une grande entreprise d’appareils portables à Hefei, produit en série des montres intelligentes contenant des processeurs basés sur RISC-V. Xiaomi, un fabricant de smartphones et d’autres gadgets grand public, prévoit d’utiliser des puces RISC-V dans ses bracelets dédiés au fitness. Et à Shenzen, Huawei (désormais bien connue !) dispose d’une équipe de développeurs travaillant sur RISC-V. Dans une interview en septembre, Wang Chenglu, le patron de l’électronique grand public de Huawei, a souligné le récent déménagement de la fondation RISC-V en Suisse, hors de la juridiction américaine, comme quelque chose qui encouragera Huawei à utiliser RISC-V.

Il n’y pas que les chinois réagir positivement à RISC-V, le gouvernement indien a annoncé des investissements dans le développement de composants basés sur RISC-V; eux aussi souhaitent développer un écosystème technologique qui minimise la dépendance vis-à-vis des étrangers (comprendre “les américains).

Un avenir de nouveau radieux

On le voit, que ça soit dans le domaine du logiciel et maintenant du matériel, le mouvement Open Source renouvelé est en plein essor. L’Open Source fait désormais moins de “bruit médiatique” mais c’est bon signe : ça veut dire que le mouvement s’est durablement intégré dans les mécanismes de l’évolution technique de notre domaine.

L’Open Source ne concerne pas toujours directement les organisations clientes de prestations IT mais c’est un critère qu’il faut garder en tête à l’heure du choix. L’Open Source, grâce à sa transparence, va offrir certains avantages qui restent inaccessibles aux solutions fermées et propriétaires.

On a compris que le poste de travail n’est plus vraiment un enjeu pour l’Open Source (du moins à court terme, qui sait ce qui va advenir par la suite ?) mais que les solutions Cloud sont concernées et c’est ce qui compte désormais.

PS) Un site qui peut s’avérer particulièrement utile : https://opensource.builders/

Sur ce site, Junaid Kabani a listé les alternatives Open Source des logiciels les plus connus… Un référence à consulter !

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