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Un peu d’histoire… les touts débuts avec les MRP 

ASK computer systems, créé en 1972 par Sandra Kurtzig, était l’éditeur de ManMan, un progiciel de gestion de production (MRP pour Material Ressources Planning).  

Tout d’abord, Sandra Kurtzig travaillait chez General Electric dans le département du time-sharing. Elle eut l’occasion d’y développer un programme de MRP rudimentaire à la demande d’un client. À l’occasion de ce projet, elle put se rendre compte du potentiel de ce type de logiciel et décida de se lancer en solo. Sandra eu l’idée de distribuer le programme qu’elle venait de développer via le service Tymshare (encore un service de time-sharing qui survécut jusqu’en 1984 et son rachat par McDonnell Douglas pour être démantelé par la suite…). Cette idée fonctionna bien et Sandra pu développer son affaire. Bien au courant de ce qui se passait dans son domaine, elle vit que les mini-ordinateurs étaient en train de sonner la fin de la courte épopée du « computer utility » et elle chercha à bifurquer vers ce nouveau débouché à fort potentiel. 

Elle avait des relations chez HP et redéveloppa ManMan pour tourner sur un mini de cette société. Cette nouvelle version de son progiciel était destinée à être vendue directement par la force commerciale de HP (en 1976, époque où HP débuta la commercialisation de ManMan, ASK était encore une toute petite entreprise). Mais Sandra Kurtzig réalisa vite que HP faisait plus de profit qu’ASK sur ses ventes et, une fois que sa société en fut capable, elle décida de bifurquer encore une fois : en passant à la commercialisation directe de son produit. 

Le succès de ManMan en tant que MRP de référence dans le secteur industriel annonçait aussi la généralisation des ERP dans tous les autres secteurs (ce qui arriva dans les décennies qui suivirent). 

Contre toute attente, c’est l’allemand SAP (et dans une moindre mesure le Néerlandais Baan) qui allait réussir cette percée. L’ERP était la solution que le marché attendait : ce n’était pas vraiment un progiciel fin prêt à être utilisé mais plutôt un cadre de développement à paramétrer selon les besoins et l’organisation du client. 

Le coup de pouce de la crise de l’an 2000 

C’est la très connue « crise du bug de l’an 2000 » qui acheva de généraliser les ERP dans la plupart des grandes organisations : plutôt que de tenter de corriger les grandes chaînes de traitements qui, souvent, dataient des années soixante-dix (voire des années soixante pour certains et dans bien des cas, le code source avait disparu depuis un bon moment !), le plus simple était de basculer sur un ERP pour retrouver une situation « claire ». Voici comment une minuscule SSII allemande est devenue en quelques décennies le premier éditeur de solutions d’entreprises au monde… 

Le parcours accidentel mais fructueux de SAP 

SAP fut fondée en avril 1972 par cinq anciens employés d’IBM Allemagne. Les cinq associés quittèrent IBM car ils étaient motivés par la proposition d’ICI (Imperial Chemical Industries). Le groupe chimique britannique bien connu alors client d’un mainframe IBM 370 et qui voulait que soit développé un logiciel de gestion de production et de comptabilité, projet qui venait d’être rejeté par IBM Allemagne qui ne voulait pas sortir de son rôle de constructeur. ICI proposa le contrat aux cinq « conjurés » qui virent ainsi l’opportunité de créer leur société avec un projet qui pourrait être proposé à d’autres clients par la suite. Ce que ICI voulait était un embryon de logiciel de gestion de production inspiré de la notion de MRP très en vogue dans les années soixante-dix (comme on l’a vu avec ManMan d’ASK). 

La coopération avec ICI a été fondamentale dans les débuts de SAP : non-seulement ICI permettait aux cinq fondateurs de développer le logiciel sur le mainframe de la société mais le contrat prévoyait que le produit final pourrait être proposé à d’autres clients sans qu’ICI ne touche de royalties. ICI alla même jusqu’à arranger des visites clients afin de faciliter la prospection de SAP (comme anciens d’IBM Allemagne, nos cinq fondateurs avaient accès au vaste réseau de clients d’IBM, leur cible de base pour la commercialisation de leur logiciel). 

La première version du logiciel alors appelé MIAS (pour Material Information and Accounting System) fut terminée en janvier 1973 mais des modules supplémentaires furent développés l’année suivante. La commercialisation progressait également de façon satisfaisante : en 1975, MIAS était installé sur 40 sites et ce nombre atteignait 100 en 1978. 

En 1977, SAP porta son logiciel sur mainframe Siemens avec lequel il y eut un accord de commercialisation mais le focus sur les systèmes IBM restait primordial.  

En 1979, SAP put enfin acquérir son propre mainframe IBM et en profita pour se lancer dans le développement d’une nouvelle version de son logiciel appelé R/2 qui put être lancée en 1981. Pour se conformer à la norme MRP-II, R/2 contenait des modules supplémentaires dont certains comme le module de RH avait été développé en coopération avec des clients. La phase suivante du développement a été l’internationalisation du logiciel et sa commercialisation. 

Là encore, il ne s’agit pas de l’exécution d’un plan soigneusement défini à l’avance mais plutôt d’une opportunité apportée par les clients et que SAP n’a fait que suivre (mais le mérite n’est pas nul : les dirigeants auraient pu rester aveugles et sourds à ces opportunités et les rejeter les unes après les autres… Comme d’autres l’ont fait !). Cette fois, c’est la direction européenne de John Deere qui décida d’installer R/2 dans toutes ses usines en Europe et cela nécessita sa traduction en anglais et en français. SAP créa une filiale en Suisse en 1984 pour accompagner ce développement à l’international. 

Les concurrents américains de SAP tentèrent également de s’implanter en Europe mais il s’avéra que le chemin était plus difficile pour eux que pour un Européen qui était déjà habitué aux nombreuses contraintes locales (monnaies, législations et autres). De plus, les éditeurs américains bénéficiaient du confort d’un marché domestique vaste, ce qui reléguait la conquête du « reste du monde » à toujours plus tard… 

Au fur et à mesure de son expansion, SAP réussit à déclencher un autre relais de croissance sans tomber dans le piège classique de l’intégration verticale : le besoin de personnel compétent pour accompagner les installations et paramétrage de R/2 allant croissant, au lieu d’essayer d’embaucher des consultants en interne, SAP sut s’appuyer sur des sociétés extérieures en tissant un réseau de partenariats. Cette démarche fut particulièrement fructueuse quand ce réseau s’étendit au-delà des SSII classiques pour toucher aussi ce qu’on appelait alors les « big six » : Price Waterhouse, Coopers & Lybrand, Deloitte & Touche, Arthur Andersen (devenu plus tard Accenture), KPMG et Ernst & Young, les sociétés de consultants spécialisées dans l’audit et la comptabilité (ces « big six » sont aujourd’hui devenus les « big four » suite à des fusions et acquisitions entre eux…). Ces consultants avaient un accès fréquent aux directions générales (bien plus que les SSII) et servirent de relais commercial très efficace pour diffuser la bonne parole en faveur de R/2… Car SAP a toujours fait très attention à partager les revenus avec ses partenaires, au lieu de vouloir s’accaparer tous les bénéfices. 

Le tournant vers SAP R/3 

Dans les années 1987/88, SAP s’introduisit à la bourse de Francfort mais c’est aussi lors de cette période qu’IBM, son principal partenaire technique présenta son offre AS/400 ainsi que ses premiers systèmes Unix (la première station de travail Unix de Big Blue, la 6150 avait été dévoilée en 1986). Influencé par IBM et par un client (les chemins de fer allemands, la Deutsche Bahn), SAP se lança dans le développement d’une version de son logiciel pour l’AS/400 : R/3. Initialement, R/3 n’était pas du tout destiné à remplacer R/2 mais plutôt à attaquer le marché des PME. 

Les sociétés moyennes n’étaient évidemment pas équipées avec des mainframes et un mini comme l’AS/400 leur était directement destiné. Le développement de R/3 a été plus que difficile puisqu’il prit quatre ans (de 1987 à 1991) et faillit être annulé à deux mois de son annonce au CEBIT de 1991… Il s’avéra que R/3 était trop exigeant en ressources pour tourner sans mal sur un AS/400 ! 

La solution fut plutôt de le proposer sur un serveur Unix. En fait, le développement avait eu lieu sur Unix et, avec un SGBDR Oracle, R/3 fonctionnait convenablement. Ce tournant représentait beaucoup pour une société qui avait jusque-là vécu quasiment exclusivement dans l’ombre d’IBM mais ce fut la bonne décision. En Europe, les ventes de R/3 démarrèrent doucement mais la percée eut lieu aux USA : présenté à l’occasion de la réunion Sapphire (le groupe utilisateurs des clients américains), R/3 emporta l’enthousiasme des grandes sociétés américaines qui étaient déjà au fait du modèle client-serveur utilisé par R/3. 

Le succès de SAP, lui, a grandement été dû au fait que la compagnie n’a pas été trop gourmande. Contrairement à Microsoft qui propose un partenariat intéressant au court terme mais tente ensuite d’accaparer tous les profits au long terme (contrats OEM léonins proposés aux fabricants de PC par exemple), SAP s’est toujours assuré que ses partenaires aient une bonne part du gâteau (de l’ordre de 60% de ce que dépensent les entreprises pour et autour de SAP). Au final, tout le monde s’y retrouve : SAP, ses partenaires qui font des gros profits en conseil, le directeur informatique (un gros projet justifiant de grosses ressources, on estime que SAP R/3 coûte 5 à 10 fois plus cher à installer qu’à acheter). Seul l’utilisateur final ne s’y retrouve pas vraiment (l’interface utilisateur est horrible, mais l’utilisateur final a rarement la parole). 

Il fallut attendre jusqu’en 2015 pour que SAP présente une vraie nouvelle version de son ERP avec S4/HANA (cependant, R/3 avait quand même connu quelques évolutions avec, en 2002 la version R/3 Enterprise et, en 2004, un changement de nom : SAP ERP…). La version Cloud de S4/HANA suivit l’année d’après (2016).  

L’autre éditeur européen de l’ERP : Baan 

Baan a été créée en 1978 aux Pays Bas par Jan Baan, comptable de profession, qui avait perçu le besoin d’utiliser des logiciels dans le domaine de la gestion de production. Au départ, la société est spécialisée dans le consulting. À la fin des années quatre-vingt, les entreprises commencent à repenser et optimiser l’ensemble de leurs processus. Jan Baan décide de développer une application de gestion assemblant des logiciels spécialisés afin de traiter toutes les données de l’entreprise, de la production au commercial en passant par la comptabilité. Le progiciel s’appelle TRITON. Paul Baan, le jeune frère de Paul s’occupe de Baan en Hollande. 

Après un démarrage rapide, la crise du marché en 1987-1990 porte un coup rude à la société qui peine à survivre. En juin 1991, un contrat OEM est signé avec la société Bull, au niveau mondial, qui donne à celle-ci la possibilité de construire sa propre offre ERP sur la base de TRITON, en même temps que ce contrat apporte à Baan une manne d’argent frais qui la sauve de faillite. En parallèle, Baan signe des contrats de revente avec IBM et avec la société Focal en France. D’autres contrats de revente sont signés dans d’autres pays en Europe. Très vite, les ventes de l’ERP de Baan démarrent en France : d’abord avec des PME (ESG, Roset, Comatelec,…), puis pour des sociétés de plus en plus importantes (Schlumberger, GIAT, etc.). Alors que SAP est cantonné chez les très grands comptes avec son R2 rigide, le marché français est alors enthousiasmé par l’offre de Baan. Les ventes explosent (GEC Alsthom, des PMEs, etc.). General Atlantic entre au capital de Baan en 1993 pour préparer une entrée en Bourse. En 1994 Baan signe avec Boeing un contrat de 25 Millions USD. 

Entrée en bourse de Baan, apogée et chute 

En 1996, Tom Timsley prend la Direction de Baan Company. Tom est un ancien de McKinsey chez qui il a œuvré pendant 18 ans. Rien à voir avec le charisme et l’attitude visionnaire et entrepreneuriale de Jan Baan. Tom est un consultant de haut vol, les yeux rivés sur le cours de l’action. 

En août 1998, l’action de Baan Company chute en Bourse. La compagnie est poursuivie pour fraude sur le cours de son action aux USA la même année. En 2000, Baan est rachetée par Invensys. Rechute. En 2003, nouveau rachat, cette fois par SSA. Fin de parcours en 2006 avec un dernier rachat, Infor prend ce qui subsiste et le fond dans le reste de son offre. Tout cela était prévisible depuis fin 1996. Quand la seule référence est le cours de l’action, on ne pense plus au client, on perd contact avec la réalité et toute la société est axée sur le court terme. 

D’autres acteurs comme JD Edwards et PeopleSoft mériteraient aussi qu’on évoque leur parcours dans le domaine de l’ERP mais c’est plutôt l’autre géant du domaine qu’on va évoquer désormais (car ces deux-là se sont fait absorber par ce dernier, justement). 

Oracle, du SGBDR à l’ERP 

Comme les solutions d’ERP sont toutes articulées autour d’une base de données, il était presque inévitable d’y retrouver Oracle. Pourtant, le “géant rouge” s’est mis à l’ERP assez tard par rapport aux autres acteurs spécialisés. En août 1987, Oracle a démarré la division Oracle Applications, un groupe spécialisé dans la création de logiciels de gestion d’entreprise étroitement intégrés à son propre logiciel de base de données. 

En août 1988, ce groupe a publié sa première application ERP appelée système de comptabilité qui n’incluait alors que la fonctionnalité générale du grand livre. Cette application s’est évidemment étoffée au fil des années (on est passé de la version 3 en novembre 1988 à la version 10 en 1995 et cette progression a continué par la suite). 

En 2005, Oracle réforme son offre applicative (appelée Oracle Fusion) peu après une vague d’acquisitions d’acteurs du domaine par le géant rouge. Les applications Oracle Fusion ont été présentées comme une suite de planification des ressources d’entreprise (un ERP en somme) et lancées en septembre 2010. Il s’agissait d’une combinaison de caractéristiques et de fonctionnalités tirées des gammes de produits Oracle E-Business Suite, JD Edwards, PeopleSoft et Siebel (18 milliards de dollars dépensés en tout pour racheter ces trois-là). On voit que c’est en rachetant ses concurrents qu’Oracle a finalisé son offre applicative. 

Ce n’est pas un reproche, c’est juste une constatation. SAP pratique aussi la croissance externe (déjà 70 acquisitions à ce jour !) comme Sybase en 2010 ou Business Objects en 2007. 

En juin 2012, Larry Ellison (le fondateur d’Oracle et, à ce moment-là, toujours président du conseil d’administration), a annoncé la suite d’applications Oracle ERP Cloud dans le cadre d’Oracle Cloud, le large éventail d’applications basées sur le cloud de la société. Oracle fut donc un peu plus rapide que SAP (2016) à adopter le cloud pour sa solution ERP.

Chronique suivante sur les ERP :

Une situation présente en trompe-l’œil

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