linkedin twitter

Depuis plusieurs années déjà, les responsables informatiques sont confrontés à des attentes toujours plus pressantes en ce qui concerne la maîtrise de leurs activités et la contribution des technologies de l’information aux résultats de l’entreprise. Ces exigences ont rendu incontournable le développement et l’exploitation de tableaux de bord destinés à la fonction informatique en tant qu’entité de support.

 

Contexte du tableau de bord IT ou IT Balanced ScoreCard

Le tableau de bord prospectif (Balanced ScoreCard en anglais) est devenu, au moins sur ses grands principes, un standard de fait dédié au pilotage de la performance d’une entreprise  par la mise en œuvre et le suivi d’une batterie d’objectifs et de métriques (http://fr.wikipedia.org/wiki/Tableau_de_bord_prospectif). Ce cadre théorique est rassurant car il structure les travaux qui vont devoir être réalisés. Dans la pratique toutefois, concevoir un tableau de bord à l’usage de la DSI demeure un exercice bien particulier. Il faudra non seulement définir et articuler les objectifs IT en lien avec la stratégie de l’organisation, mais aussi  dénicher, notamment dans divers référentiels  (CobiT, ITIL, CMMI…), les indicateurs les plus appropriés au regard des objectifs retenus. Une des difficultés rencontrée dès le lancement du projet réside dans la capacité de l’équipe projet à restituer les indicateurs de mesure sélectionnés sous une forme qui fasse sens du point de vue du décideur. La transition entre objectifs de performance, valeurs des indicateurs de mesure associés, et activités informatiques sous-jacentes doit être la plus évidente possible, de manière à faciliter l’interprétation des résultats et la définition des plans d’amélioration.

 

Les limitations de l’approche BSC traditionnelle

Aujourd’hui, l’utilisation des tableaux de bord équilibrés ou tableaux de bord prospectifs  en tant que système de mesure et de contrôle de la performance est largement répandue.  A l’origine, l’approche BSC a été proposée par Kaplan et Norton pour être appliquée au niveau de l’entreprise.  La raison fondamentale de son introduction en 1992 est que l’évaluation d’une entreprise ne doit pas se limiter à la seule appréciation de sa performance financière (au sens comptable), mais qu’elle doit être complétée par des mesures concernant la satisfaction des clients, l’efficience des processus internes, et les capacités d’apprentissage et de développement de l’organisation. L’estimation de la performance est ainsi globale. Le tableau de bord prospectif permet d’assurer les résultats financiers tout en préservant un équilibre avec les autres axes de la stratégie. L’implémentation du cadre de référence proposé par Kaplan et Norton repose alors sur une structure en trois couches pour chacune des quatre perspectives : la mission, les objectifs, et les mesures,  à partir desquels sont définis des niveaux de performance à atteindre et des actions d’amélioration à lancer.

 Les 4 perspectives du tableau de bord équilibré selon Kaplan et Norton

 

Bien que l’approche BSC ait démontré son efficacité dans des contextes nombreux et variés, il reste des situations dans lesquelles son application directe reste compliquée.

Le modèle en 4 axes introduit par Kaplan et Norton a été critiqué car perçu comme trop ciblé et trop prescriptif pour être exploitable par toute les organisations. L’objectif global de performance financière et de création de valeur pour les actionnaires qu’il véhicule n’est pas adapté au secteur public et aux structures à but non lucratif. Pour ces dernières, la finance est davantage vue comme une ressource exploitable que comme un résultat à maximiser. Les principales critiques formulées à l’encontre de l’approche originelle du BSC concernent son orientation trop marquée vers les attentes des actionnaires et une vision incomplète des autres ressources mises en jeu. La démarche ne met pas suffisamment en valeur les participations de l’ensemble des partie-prenantes, comme les employés et les fournisseurs, dans l’atteinte des objectifs. Elle a du mal à intégrer la diversité des ressources mobilisables pour améliorer la performance.

D’autre part, le cadre proposé initialement par Kaplan et Norton ne reflète pas bien les différentes natures de contributions de l’informatique à l’atteinte des objectifs métier. Dans la pratique, on constate que les 4 perspectives (finance, client, processus, développement et apprentissage) ne font pas suffisamment ressortir les spécificités des défis et des enjeux propres aux départements informatiques. Le caractère trop général des 4 axes d’analyse retenus par Kaplan et Norton se traduit immédiatement par des difficultés de formulation et de classification des objectifs qui composent la carte stratégique. Par exemple,  où positionneriez-vous l’objectif d’optimisation du choix des investissements informatiques ? Sur l’axe client (réponse aux besoins métier) ? Sur l’axe financier (retour sur investissement) ?  Certains des choix effectués au moment de la répartition des objectifs  entre les différentes perspectives ne sont pas aussi aisés que ce à quoi on pourrait s’attendre…

 

Des perspectives revisitées pour des tableaux de bord plus exploitables

D’autres initiatives ont suivi celle de Kaplan et Norton avec pour but principal de renforcer encore la place occupée par chaque perspective dans le dispositif de pilotage.  Dans ces nouveaux référentiels, la mise en place d’une stratégie ne se fait pas uniquement à partir des attentes des clients et des actionnaires mais en tenant également compte des ressources et des savoir-faire de l’organisation. Ainsi, Andy Neely et Chris Adams de l’université britannique de Cranfield ont élaboré le modèle « Performance Prism » (1) qui se réfère aux cinq points de vue suivants : la satisfaction des parties prenantes (au-delà des seuls actionnaires),  la contribution des parties prenantes, la stratégie, les processus, et enfin les capacités.

Dans l’une de ses publications (2), Bernard Marr propose une approche qui s’inspire de « Performance Prism » et améliore encore la prise en compte des capacités dont dispose l’entreprise pour remplir ses missions et atteindre ses objectifs. Pour Bernard Marr, chaque entreprise doit pouvoir définir sa stratégie en considérant successivement les notions de « proposition de valeur »,  de « compétences clés », de « ressources clés », et leurs dépendances.  La stratégie peut être définie et formalisée au travers de la carte en répondant aux questions suivantes :

  • Quelles sont les parties prenantes de l’organisation et quelle valeur l’organisation doit-elle leur délivrer ? Ou plus simplement, quelles sont les finalités de l’entreprise et quelle est son offre ?
  • Quelles doivent être en conséquence les savoir-faire que l’entreprise doit développer pour satisfaire la proposition de valeur énoncée précédemment ? Ou plus simplement, quelles sont les activités métier dans lesquelles l’organisation doit exceller pour délivrer de la valeur ?
  • Enfin, quels sont les moyens (monétaires, physiques, ou intangibles) nécessaires au développement des compétences clés identifiées précédemment ?

 

Le modèle de carte donné ici en exemple traduit bien l’articulation de ces différentes préoccupations dans l’élaboration de la stratégie de chaque entreprise.

La carte stratégique reliant les ressources et savoir-faire à la proposition de valeur (Source Bernard Marr (2))

 

En haut la proposition de valeur et les résultats à produire. En bas les différentes natures de ressources que l’organisation doit posséder pour développer ses compétences clés. La pertinence de ce modèle pour le pilotage de la performance d’un département informatique, (plus généralement d’une fonction de support, voire même d’une organisation qui exerce une activité de service), est indiscutable. On constate que le Système d’Information y figure en tant que ressource physique. Les activités informatiques (la vision interne du modèle BSC d’origine) sont positionnées en tant que ressources structurelles. Enfin, les partenaires et fournisseurs sont identifiés comme des ressources relationnelles participant elles aussi au développement des capacités clés. A titre personnel, j’apprécie particulièrement cette approche dans la mesure où la logique d’enchaînement des objectifs et des indicateurs sur chacune des couches est plus facile à établir et à communiquer qu’avec les 4 perspectives du modèle BSC d’origine.

En 2003, Win Van Grembergen (3) propose lui aussi un autre cadre de mesure et de pilotage de la performance,  une version revisité du modèle original plus ancrée sur les préoccupations des DSI.  L’axe financier qui était trop peu précis et qui manquait de résonnance vis-à-vis d’une fonction support au sein de l’organisation est remplacé par l’axe « Contribution aux résultats ». Le terme est plus évocateur et recouvre l’ensemble des objectifs ayant trait à l’alignement de l’IT sur la stratégie de l’organisation, au-delà de la maîtrise des coûts informatiques et de la rentabilité financière souhaitée par les actionnaires ; c’est sur cet axe que serait positionné l’objectif d’optimisation des investissements évoqué précédemment. Dans le modèle de Van Grembergen, la perspective client devient « L’orientation utilisateur », tandis que la perspective interne est centrée sur « L’excellence opérationnelle » des processus. L’axe développement et apprentissage est renommé  « Orientation future »,  sans différence notable sur le fond.

 

 Les 4 perspectives du tableau de bord équilibré selon Van Grembergen (3)

 

Plus précisément :

  • L’axe « Contribution aux résultats » évalue la performance de l’organisation informatique du point de vue du management. L’objectif est d’obtenir une contribution significative de la part des investissements dans les technologies de l’information, en mettant l’accent sur la gestion des dépenses ainsi que sur la valeur ajoutée des projets et des services informatiques.
  • L’axe « Orientation utilisateur » évalue la performance  de l’organisation informatique du point de vue des utilisateurs internes (et non pas du client final). L’informatique cherche ici à être perçue comme un prestataire de premier choix pour les directions métier. Il s’agit notamment d’être proactifs vis-à-vis des demandes des utilisateurs et d’établir avec eux une relation de partenariat aboutissant à un niveau élevé de satisfaction.
  • L’axe « Excellence opérationnelle » restitue la performance des processus IT du point de vue de la DSI.  L’objectif consiste à délivrer les meilleurs produits et services au moyen d’un cycle de développement logiciel, d’une infrastructure matérielle, et d’une fonction support optimisés.
  • L’axe « Orientation future » mesure la capacité d’adaptation de l’organisation informatique (readiness en Anglais) vis-à-vis des enjeux futurs. En maintenant la compétence des personnels et en maîtrisant les risques liés au vieillissement du Système d’Information, les départements informatiques sont en mesure de saisir toutes les opportunités et de faire face à de nouveaux défis.

 

Notons enfin que la finalité d’un dispositif de gouvernance informatique reste l’alignement de l’activité IT sur les priorités métier de l’entreprise afin d’accroître le résultat financier global. Bien que le dispositif soit équilibré (c’est la raison d’être de l’approche BSC), l’enjeu majeur reste la contribution de la DSI aux résultats de l’entreprise. Les autres perspectives contribuent à la performance sur cet axe à travers les liens de causalité que cherche à exprimer la carte stratégique : des processus optimisés de gestion des compétences peuvent améliorer les processus opérationnels de la DSI qui, à leur tour, peuvent concourir à mieux gérer les exigences des utilisateurs, pour aboutir en définitive à un meilleur retour sur investissement des projets informatiques. Cet axe « Contribution aux résultats » porte la proposition de valeur telle que la définit le modèle de carte proposé par Bernard Marr.

 

En conclusion

Les Directions des Systèmes d’Information connaissent bien les enjeux liés à la gouvernance de la fonction informatique. Pour démontrer leur capacité à maîtriser et à dépasser ces enjeux, elles doivent se doter d’outils de pilotage et de contrôle internes qui leur permettent de s’affirmer en tant que véritable partenaire de la Direction Générale.

L’approche par les modèles de pilotage permet aux DSI de définir et d’appliquer une stratégie de transformation par l’intermédiaire d’un ensemble d’objectifs, de variables d’action, et d’indicateurs de mesure. La méthode la plus connue et la plus utilisée à ce jour reste certainement celle du tableau de bord prospectif  (Balanced ScoreCard) développée dans les années 1990 par Robert Kaplan et David Norton. Toutefois, il s’agit là d’un outil destiné aux Directions Générales dans une logique de pilotage d’entreprise, peu adapté aux besoins des directions opérationnelles et de l’Informatique en particulier.

Mais que les responsables informatiques se rassurent. Il n’est pas nécessaire d’appliquer à la lettre la doctrine BSC  pour réussir le déploiement des tableaux de bord dédiés à la fonction informatique, bien au contraire. Nous savons désormais qu’il existe des solutions alternatives qui, sans dénaturer les fondements théoriques du modèle, autorisent une approche beaucoup plus concrète et pragmatique du pilotage de l’activité informatique…

 

Références :

(1) Perspectives on Performance: The Performance Prism

(2) Strategic Performance Management: Leveraging and Measuring your Intangible Value Drivers  (Bernard Marr)

(3) 2003 Van Grembergen, W.; ‘The Balanced Scorecard and IT governance’, Information Systems Control Journal, 2000

Commentaire

  1. Bonjour Jean-François,

    toujours aussi pragmatique et évident, avec du bon sens et de l’expérience en plus.

    Meilleurs souvenirs.

    Pascal

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Voir plus
scroll to top